Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle est une loi de son espèce ! Et ce n’est pas dire assez que de prétendre qu’elle est une loi de son espèce, elle est celle de toutes les espèces vivantes. Est-ce que le lapin n’a pas son terrier, le castor sa cabane, l’abeille sa ruche ? Est-ce que l’hirondelle, joie de nos climats… etc., etc.[1] ? »

Oui, monsieur Thiers, le lapin a son terrier ; mais, faut-il donc vous l’apprendre ? il en est possesseur et non propriétaire. Le castor a sa cabane ; mais il n’a pas sur elle un droit de propriété. L’abeille a sa ruche ; mais elle en est si peu propriétaire que vous avez, vous, sans le savoir et sans savoir pourquoi, le droit de la lui ravir, et que vous la lui ravissez. Que répondriez-vous donc à l’abeille si, quand vous vous emparez tout à la fois de sa ruche et de son miel, elle vous traitait de voleur ou de socialiste ? Sauriez-vous lui dire qu’elle n’est qu’un animal dominé par l’instinct, et que vous êtes un homme raisonnable et libre ? qu’elle est une chose et que vous êtes une personne ? qu’elle n’a ni droits ni devoirs, que vous avez, vous, le droit et le devoir d’accomplir votre destinée, de l’accomplissement duquel votre liberté vous fait responsable ? Le sauriez-vous ? J’ai tout lieu d’en douter. Mais heureusement les abeilles ne lisent point M. Thiers ; et elles ignorent ses doctrines subversives et plus que démagogiques.

Telle est la philosophie de M. Thiers ; nous aurons occasion de juger tout à l’heure son économie politique ; l’une et l’autre se valent. Toutefois, pour être juste, il faut bien reconnaître que l’auteur, malgré sa médiocrité scientifique, et tout en n’unissant à une grande pauvreté d’idées qu’une platitude assez remarquable de style, parvient à constituer une apparence de théorie de la propriété. Nous avons constaté par avance que la base en était tout empirique ; constatons aussi que cette théorie, par elle-même, n’est rien moins que philosophique.

M. Thiers établit : — Que l’homme a dans ses facultés personnelles une première propriété incontestable, origine de toutes les autres. (Chapitre IV.)

Cette première propriété est incontestable, je le veux bien. Le fait est pourtant qu’elle a été contestée. M. Thiers le nie ; je l’affirme.

« Ces pieds, ces bras, ces mains sont à moi, incontesta-

  1. De la Propriété, p. 27.