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là en effet tout le monde ne payait pas l’impôt. La noblesse n’en supportait qu’une partie, le clergé aucune,…[1]»

Qui parle ainsi ? C’est M. Thiers s’exprimant dans son langage libre, véhément, sincère, comme il a toujours été, comme il sera toujours[2].

« …Ce qui est fait n’est plus à faire… Y a-t-il, en effet, quelque part un four ou un moulin banal à supprimer ? Y a-t-il du gibier qu’on ne puisse tuer quand il vient sur votre terre ?… Y a-t-il d’autre inégalité que celle de l’esprit, qui n’est pas imputable à la loi, ou celle de la fortune, qui dérive du droit de propriété[3] ? »

Eh ! mon Dieu, peut-être bien, monsieur Thiers. Et si cette inégalité existe, nous la voulons découvrir ; et si tout au contraire elle n’existe pas, nous voulons nous en convaincre. Et si les socialistes se sont trompés, nous le leur ferons voir. Pourquoi tant de véhémence ? — Mais laissons M. Thiers voler à la défense de la propriété : car aussi bien son impétuosité naturelle est si grande qu’on a de la peine à le contenir.

Comment procède M. Thiers ? Il ne cherche, croyez-le bien, l’origine et le fondement de la propriété ni dans le droit divin, ni dans le droit du plus fort, ni dans le droit du premier occupant. Non ; mais où donc le cherche-t-il ? Dans l'instinct ! Ainsi, dès le premier pas qu’il fait, voilà M. Thiers embourbé, côte à côte avec M. Proudhon, dans les marais de l’empirisme. Tous deux de concert confondent la propriété qui est un droit avec l’appropriation qui est un fait. La propriété n’est plus ni pour l’un ni pour l’autre un pouvoir moral, apanage exclusif des personnes raisonnables et libres ; la propriété est un fait instinctif. Mais, à ce compte, les animaux sont aussi susceptibles d’être propriétaires que l’homme ? — Évidemment, selon M. Thiers.

« Les naturalistes en voyant un animal qui, comme le castor ou l’abeille, construit des demeures, déclarent sans hésiter que l’abeille, le castor sont des animaux constructeurs. Avec le même fondement, les philosophes, qui sont les naturalistes de l’espèce humaine, ne peuvent-ils pas dire que la propriété est une loi de l’homme, qu’il est fait pour la propriété,

  1. M. A. Thiers, De la Propriété, p. 11.
  2. Idem, p.6.
  3. Idem, p.13.