Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les philosophes qui voudront aborder scientifiquement ces problèmes de la Justice.

La première idée qui se présente à l’esprit, c’est d’examiner de quelle façon procèdent les sciences naturelles, et de rechercher si leur méthode ne pourrait pas convenir aussi bien aux sciences morales. Or les sciences naturelles sont de deux sortes : les sciences à priori qui, partant de définitions et d’axiomes ou d’identités, se constituent par des séries de déductions logiques, et les sciences expérimentales qui, de l’observation des faits s’élèvent, par induction ou par hypothèse, à la connaissance de plus en plus approfondie des lois et des rapports.

La théorie de la société se rapproche évidemment de l’algèbre, de la géométrie et des sciences à priori, en ce qu’elle poursuit aussi la recherche d’un certain idéal rationnel, indépendant de toute réalité. Cela est vrai surtout pour la première partie de la science que nous avons déjà parcourue. Rien ne s’oppose à ce qu’on assimile le principe de liberté, le principe d’égalité aux axiomes géométriques. Rien non plus n’empêchera d’obtenir, en partant de ces principes, comme une loi inéluctable de la société, la formule platonicienne traduite ou exprimée en langage scientifique Mais tandis que les applications des vérités mathématiques se font à des nombres et à des figures que saisit immédiatement la raison, la loi de la société doit s’appliquer à des faits dont l’entendement n’obtient la notion que par le secours de l’expérience : ces faits sont ceux qui composent les diverses catégories sociales. La théorie de la société, commencée par la méthode à priori, ne saurait donc se compléter que par la méthode d’observation, d’induction et, s’il y a lieu, d’hypothèse.

Cette distinction peut s’établir en termes moins abstraits et plus intelligibles. En effet, d’une part, il est aisé de se figurer qu’on pourrait obtenir, par le raisonnement pur, un principe supérieur de solidarité sociale conciliant l’égalité et l’inégalité, l’individualisme et le communisme, une formule nécessaire et universelle de coordination des destinées de personnes libres, formule ou principe toujours applicable soit que ces personnes libres fussent des créatures de telle ou telle espèce, habitassent sous telle ou telle latitude, existassent même dans telle ou telle région de l’univers. Mais d’autre part, il est impossible de