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sombre des symphonies à l’âme du maestro joyeux des valses.

Un soir — à la clarté jaune du soleil qui commençait à disparaître derrière les toits — Greta songeait, perdue dans son obsédant rêve, le regard immobilisé, le corps anéanti dans une prostration désolée, lorsque tout à coup, éveillée en sursaut, elle tendit l’oreille. De la rue, un son criard montait, une complainte d’orgue de barbarie vinaigrant des notes tantôt claires et dures, tantôt ronflantes, plaintives presque…

Et c’était l’air du Rhin, le « Loreley-Lied » dont les phrases, à travers le burlesque instrument qui les psalmodiait, lui pénétraient pourtant l’âme de leur sanglot. Tout revenait encore, Gott ! Gott ! Elend ! comme un appel de la terre aimée, une plainte d’absente, un soupir de mère qui agonise et supplie Loreley ! oh ! Loreley ! roche grise qui baignes tes pieds de pierre dans l’eau verte du Rhin, Loreley ! nymphe mystique, blonde nymphe d’Allemagne, Loreley ! toi qui déroules ta chevelure d’or clair et que le pêcheur contemple, en extase ! Loreley ! Loreley !

La musique allait, gémissante, avec des notes fausses qui giglaient, qui se cassaient comme des cordes, des sifflements de cœur qui se brise, des râles de mélodies qui se meurent, Loreley ! des crépitements, des saccades, qui s’entrecoupaient de longues notes plaintives, Loreley ! Là-bas, loin dans le passé, dans l’inoubliable ! mon Dieu ! mon Dieu ! pitié ! pitié !

Et le bonhomme tournait, tournait toujours sa mécanique, remuant et perçant comme une vrille l’âme de Greta, de Greta Friedmann, de Greta l’Allemande !