Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

pages les plus envolées des poètes et souriant de la voir de plus en plus éclairée à la rayonnante lumière du Beau.

Pendant la période qui suivit la visite de Marius, elle fut heureuse et insouciante, mais une gêne semblait de loin en loin la tourmenter comme si un poids occulte eût pesé sur son cœur. Des ressouvenances vagues de choses qui ne sont plus lui donnèrent des songeries dont elle ne saisissait point la cause, et parfois elle se rappelait ce mot qu’elle avait dit un jour, sans en bien comprendre tout le sens :

— Ne regrette-t-on pas toujours quelque chose ?

Ce quelque chose que, sans le connaître, elle regrettait, c’était le ciel de sa jeunesse ; et, comme la fleur transplantée qui se fane, elle songeait à la terre d’autrefois.

Lorsque accroché à la Fée verte, l’homme a, pendant de longs mois dégusté ses poisons, quand l’absinthe bien-aimée a fait trembler ses phalanges, allumé dans ses yeux les flammes folles de l’hallucination et subtilisé ses sens, il peut, par une volonté violente, rejeter loin de lui la passion qui le tue. Mais que, presque guéri, il boive par faiblesse une seule goutte de la liqueur amère, l’ivresse remontera à son cerveau, rivresse des anciennes absinthes, et les visions de la névrose reviendront, et ses mains trembleront encore et son esprit de nouveau sera saisi par le poison vert — irrémédiablement.

Ainsi, lorsque Greta se rappelait une minute de son passé, tout le passé revenait, tournoyait autour d’elle, l’accablant de ses douloureuses évocations, et l’enfant souffrait d’être ingrate à l’aimé dont une for^e irrésistible l’éloignait d’heure en heure.