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sublimes erreurs et surtout sa vision agrandissante des réalités. Il lut et relut surtout Barbey d’Aurevilly, aimant la folie, l’invraisemblance de ses romans, sous lesquels il démêla une vérité intérieure bien plus grandiose que chez les autres, parce qu’elle se fait jour à travers la partie la plus immatérielle et la plus fugace de l’homme. Pendant longtemps il eut aussi l’obsession de Baudelaire, ce maladif qui semble marcher dans un perpétuel cauchemar pareil à une seconde vue, et qui, noyé dans des paradis artificiels, voyait dans les obscurités et les mystères.

Ferrian aussi voulait faire une œuvre, un livre, il ne savait quand, un jour, dans longtemps, n’importe ! mais un livre où il eût discerné les bizarreries fantasques de son être, où il eût créé une figure immortelle qui n’eût été que lui-même — mais pour lui-même seul — à l’insu du monde.

Ne croyant pas à son génie, tout au plus à un talent ordinaire doublé d’énergique volonté, il se fortifiait pourtant dans cette espérance fragile qu’après lui — qui sait ? — il laisserait une page, une seule, survivante dans le temps.

Qui dira la souffrance de ces hommes qui, inconnus ou méprisés de ceux qui les entourent, se crucifient sur le Calvaire de l’art, et voient saigner leur plaie, à chaque instant rouverte par une lame glacée d’indifférence et de gouaillerie ? Le tourment du chef-d’œuvre est le pire des tourments ; il est fait d’une incertitude meurtrissante que rien ne pourra calmer, et l’artiste descend dans la terre, parfois acclamé, rarement compris comme il eût voulu l’être, comme il avait le droit moral de l’être, avec cette angoisse qu’il emporte avec lui