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une sorte de gravité que la première distraction venue transformait en un sourire. Elle n’apprit point la coquetterie, et sans être timide, avait gardé toute la franchise de l’enfance. Son père lui faisait presque peur avec son inaltérable impassibilité ; c’était une horloge, cet homme, une machine qu’on aurait remontée depuis vingt ans et qui ne devait s’arrêter que d’un coup, — par la mort.

L’arrivée de Ferrian fut l’aube et le soleil dans la vie de Greta.

Une camaraderie d’écoliers s’était établie entre eux dès les premiers jours. La jeune fille aimait à faire parler Jacques de son pays, de la Belgique, de la vie qu’on y mène, des coutumes et des gens, toutes choses qu’elle ignorait.

Quoiqu’elle parlât très bien le français, Jacques eut le plaisir de l’initier à la littérature qu’il aimait et qu’elle ne soupçonnait même pas. Avec un tact d’effleurement, il sut choisir chez les auteurs contemporains des pages qu1 ne pussent offusquer la candeur presque invraisemblable de son élève. Tour à tour, il lui lut les nouvelles les plus exquises de Daudet et de Droz, les vers les plus doux de Hugo et de Gautier. Musset surtout fit une grande impression sur l’enfant dont il augmenta le penchant romanesque. Élevée sommairement, Greta n’avait pas assez de vigueur pour résister au capiteux envahissement de la poésie romantique. Elle y retrouva, plus délicate, la sentimentalité de Gœthe, et, bercée aux cadences des strophes que Ferrian lui lisait de sa voix sonore et musicale, elle en arriva à l’écouter comme s’il eût été le poète lui-même, et glissa lentement à une confusion que Jacques ne cherchait pas à dissiper.