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colère ; elles n’ont de nous que l’heure, que la minute, mais rien d’elles ne reste au fond de notre vie, et lorsque nous pensons à celles que nous nommions nos maîtresses, nous leur faisons une suprême injure dans notre mémoire : c’est de les y confondre. Pardon de vous parler de cela…

CHRISTINE

Non, dites toujours, c’est bon de vous entendre.

GASTON

Lorsqu’on nous parle d’elles, nous hésitons sur la couleur de leurs cheveux ; nous les avons aperçues, ces femmes, mais nous ne les avons pas regardées. Vous, au contraire, nous faisons plus et mieux que vous regarder, que vous voir, nous vous sentons, notre âme se mêle à la vôtre, nous nous unissons si complètement, que nous ne sommes plus qu’un…

CHRISTINE

Tandis qu’avec elles…

GASTON (souriant)

Nous sommes si souvent trois !

CHRISTINE

C’est pour m’être agréable que vous me dites cela ?

GASTON

C’est la vérité. Pourquoi tenez-vous rigueur à Albert, et si longtemps ?

CHRISTINE

Parce que je ne puis plus même l’estimer, que des doutes constamment m’oppressent. J’ai peur de moi, j’ai peur de me diminuer en lui pardonnant…

GASTON

De l’orgueil dans la jalousie. Écoutez. Vous avez confiance en moi, n’est-ce pas ?

CHRISTINE

Oh ! oui.

GASTON

Eh bien, laissez-vous aller ! Le cœur se trompe quelquefois, mais être vaincu par lui, ce n’est pas une défaite dont il faille rougir.