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APPLIQUÉE À L’HOMME.

moment explique cela par la supposition de l’existence d’un sentiment du bien et du mal, inhérent à notre nature, antérieur à toute expérience d’utilité. Là où les relations d’homme à homme sont libres de toute entrave, ce sentiment s’attache à ces actes d’utilité générale ou de dévouement, que nous appelons moraux, et qui sont le produit de nos affections ou de nos sympathies : mais il peut être perverti, il l’est en effet souvent, et donne alors sa sanction à des actes d’utilité conventionnelle et étroite qui sont en fait immoraux. C’est ainsi que l’Indou, qui ment sans scrupule, se laissera mourir de faim plutôt que de toucher à des aliments impurs, et considère le mariage des femmes adultes comme une immoralité révoltante.

La force du sentiment moral dépend de la nature de l’individu ou de la race, de l’éducation et des mœurs ; les actes qu’il sanctionne dépendront du degré de modification subi par les sentiments et les affections primitives de notre nature, sous l’influence des usages, des lois ou de la religion.

Il est difficile de comprendre comment ce sentiment mystique du bien et du mal, qui est assez intense pour triompher des idées d’avantage et d’intérêt personnels, aurait pu se développer par une accumulation d’expériences d’utilité ; il l’est plus encore de comprendre comment des sentiments produits par cette voie auraient pu être transférés à des actes dont l’utilité serait partielle, imaginaire ou même absolument nulle. Mais si le sens moral est une partie intégrante de notre nature, il est aisé de concevoir qu’il peut don-