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— Vous le voyez, disait-il, je ne suis pas fait pour le monde, je m’y ennuie ; le luxe au lieu de me plaire, me gêne et me fatigue ; l’air des villes m’étouffe, celui de la mer est mon seul élément ; je ne puis vivre que là ! si je n’avais ni mon père, ni ma mère, ni Loubette, il n’y a qu’un état qui me conviendrait, ce serait celui de marin ; mais il m’éloignerait de tous ceux que j’aime, tandis que celui de pêcheur me permettra de rester avec ma famille et de la rendre heureuse !

— Retourne donc près de ton père, mon enfant, répondit le bon curé en lui serrant la main. Je ne puis te blâmer, et peut-être dois-je au contraire t’approuver : car le bonheur est bien plus certain dans la solitude que dans le tumulte du monde. Les études que tu viens de faire seront pour toi une source continuelle de jouissances pures et variées ; tu en sentiras mieux le néant de tout ce que les hommes appellent plaisirs et richesses ! Le vrai riche, mon ami, est celui qui, n’ayant besoin que de peu de chose, trouve dans son travail l’argent nécessaire à son existence, et peut encore secourir quelques infortunés. Les villes sont remplies de riches pauvres ; le luxe dont ils font parade épuise leur fortune, et ils sont plus malheureux souvent dans leur intérieur que les humbles ouvriers dont ils paient les travaux. Ton père, moi, et une autre personne, nous avons voulu savoir si l’orgueil et la soif des honneurs t’éblouiraient assez pour te faire quitter la profession de ton enfance, et renoncer à tes vieux parents, pour aller vivre parmi des hommes qui se rappelleraient toujours ton premier état, et ne comprendraient ni ta franchise, ni ta sauvage indépendance. Retourne au bateau paternel ; je puis t’assurer que tes parents consentiront à ton mariage ; mais Loubette est encore bien jeune : laissons le temps de grandir à la petite Jeanne, afin qu’elle puisse un peu remplacer Loubette dans la hutte de ton oncle.