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elle ne l’aurait pas compris. Pierre était enchanté, et de temps en temps il s’écriait :

— Te voilà bien instruite à présent ; j’espère qu’on ne nous séparera plus ; j’ai mon plan arrêté ; je veux suivre l’état de mon père. Je ne pourrais jamais m’habituer à la vie qu’on mène dans les grandes villes, et puis je ne veux point abandonner mon père et ma mère sur leurs vieux jours : j’emporterai des livres avec moi et je n’aurai jamais un moment d’ennui. Je vais donc aller trouver mon bon et cher instituteur, et je lui dirai que je te veux pour ma femme et qu’il faut qu’il nous marie ; puis j’irai trouver mon père et ma mère, et je leur dirai : Au lieu d’un enfant vous en aurez deux pour soigner votre vieillesse : le veux-tu, Loubette ?

Loubette répondit :

— Oui, je le veux bien.

Lorsqu’ils rentrèrent à la hutte le jour était avancé. Jeanne vint se jeter dans les bras de Loubette, et Pierre se rendit au presbytère. L’heure du souper était encore loin ; il n’eut pas le courage de l’attendre, et courut à la chambre du bon curé ; il s’enferma avec lui, et, dans un discours sans suite, mais plein de chaleur et de reconnaissance pour les soins qu’il en avait reçus depuis cinq ans, il expliqua ses goûts, ses motifs, ses projets, la tendresse qu’il avait depuis l’enfance pour sa cousine, et finit par déclarer qu’il n’ambitionnait pas d’autre état que celui du pêcheur, et qu’il voulait vivre pour Loubette et pour ses parents.

Le curé l’écouta sans l’interrompre. Enfin, il prit la parole et lui représenta tout ce qu’il perdrait en renonçant à un état honorable. Il lui parla du rang élevé auquel il pourrait parvenir, et lui fit observer que la réflexion viendrait tôt ou tard le faire repentir de la vie obscure et laborieuse qu’il allait mener de nouveau. Pierre resta inébranlable.