Page:Waldor - Heures de récréation, 1890.pdf/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gné ; l’étude avait agrandi sa pensée et développé son raisonnement. Il se demandait souvent quelle pouvait être la main invisible qui, sous le nom de Providence, semblait influer depuis si longtemps sur sa vie et s’étendre jusqu’aux êtres qu’il aimait. Car depuis un an que la pauvre aveugle, la petite Jeanne et le petit François avaient été recueillis chez le bon curé, à la hutte et au bateau de son père, il avait reçu trois petits sacs d’argent refermant chacun cent francs, et portant les étiquettes suivantes : Pour acheter des habillements à la pauvre aveugle ; pour acheter des habits de matelot au petit François ; pour acheter de bons vêtements à la petite Jeanne.

Pierre sentait qu’on ne l’élevait pas pour redevenir un pauvre et simple pêcheur ; et cependant les goûts et les occupations de son enfance étaient sans cesse pour lui un sujet de regrets ; il soupirait après le bateau paternel, et les combats qu’il se livrait altéraient sa santé.

— Il faut choisir un état, mon ami, lui dit un matin le bon curé, qui depuis longtemps l’observait d’un air inquiet. Tu as aujourd’hui dix-neuf ans ; voici près de cinq ans que tu es avec moi : tes études sont terminées ; il faut te décider.

Pierre promit de donner sa réponse dans la soirée, et comme il avait besoin d’air et de solitude, il sortit, éloignant de lui jusqu’à Bianca, qui voulait le suivre et dont la gaieté l’importunait.

Le temps était superbe ; les oiseaux chantaient ; des milliers de fleurs nuançaient le gazon des plus riantes couleurs ; tout était joie et bonheur autour du jeune homme, lui seul restait étranger au charme d’une belle matinée du mois de mai. Sombre et enfoncé dans les plus tristes réflexions, il côtoyait les bords de la mer, enviant l’oiseau qui rasait l’onde de ses ailes et pouvait aller où bon lui