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les petits

plus facile de trouver la nourriture de quatre personnes que de cinq ; voici ma femme qui dit qu’elle a besoin d’un petit garçon pour conduire les moutons au pâturage ; laissez-nous un de vos garçons, nous en aurons soin comme s’il était à nous.

— Dieu de bonté (et le vieillard éleva ses mains vers le ciel) ! vous feriez cela !

Cependant, comme il n’y a pas de joie sans peine, il s’éleva un triste débat entre les deux enfants : c’était à qui ne resterait pas. On avait beau leur dire :

— Tu auras de bonne soupe chaude deux fois par jour, tu mangeras quand tu auras faim et tu te chaufferas quand tu auras froid ; ils pleuraient, se cramponnaient aux vieux vêtements de leurs pauvres parents, et ne voulaient pas s’en séparer. Pierre, voyant ce débat, songea tout à coup à la douleur qu’il avait éprouvée en quittant sa mère, et ce souvenir faisant jaillir des larmes de ses yeux, il se retira dans un coin de la chaumière pour qu’on ne le remarquât pas.

— Ô que ne suis-je riche, se disait-il tout bas, je ne séparerais pas ces pauvres enfants de leur mère, je prendrais toute la famille chez moi. Je comprends à présent combien il y a de bonheur à être riche !

Pendant que Pierre se creusait inutilement la tête pour savoir ce qu’il pourrait faire, le bon curé avait pris par la main l’aîné des garçons, et était sorti de la chaumière avec lui. L’enfant, habitué tout petit à respecter les ministres de Dieu et à écouter leurs paroles, s’était laissé conduire sans résistance. Lorsqu’ils furent à une centaine de pas, le curé s’arrêta et dit à l’enfant :

Aimes-tu ta mère, mon garçon ?

— Oui, répondit-il, car le respect était plus fort que la timidité, et la crainte de mal faire lui déliait la langue.