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colliberts.

— Dieu, disent-ils, nous a donné du pain pour que nous le partagions avec celui qui n’en a pas.

À la vue du curé, toute la famille fut debout en un instant, les femmes faisant la révérence, les hommes ôtant leurs bonnets de coton brun ou leurs larges chapeaux :

— Asseyez-vous, mes enfants, asseyez-vous, dit le bon vieillard, je ne veux déranger personne ; achevez votre repas, vous l’avez gagné à la sueur de votre front ; que la bénédiction du ciel soit avec vous.

Tout le monde s’assit. La conversation roula bientôt sur la moisson, sur les foins, et Pierre apprit une foule de choses qu’il ignorait encore. On achevait de déjeuner lorsque toute une famille en guenilles se présenta à la porte ; c’était un vieillard à barbe et à cheveux blancs ; il portait sur son épaule un petit havresac de toile, jeté en travers sur un long bâton ; sa voix chevrotante demandait du pain ; derrière lui était une femme encore jeune ; mais elle était aveugle ; de grandes cicatrices se voyaient sur sa figure, et trois petits enfants (dont le plus grand la tenait par la main) étaient groupés autour d’elle. Le vieillard présentait un papier sale et déchiré ; personne ne savait lire dans la ferme, et le curé pris ce papier, où il eut de la peine à déchiffrer les lignes suivantes :

« Jean Racineux, vigneron de son état, a eu sa chaumière incendiée, ses meubles brûlés ; il est resté sans autres vêtements que ceux qu’il avait sur son corps ; son gendre a eu la cuisse cassée ; il est mort pendant l’opération, et sa femme a manqué périr en sauvant le plus jeune de leurs enfants ; une solive est tombée sur sa tête ; le feu a pris à ses cheveux, lui a brûlé toute la figure et l’a laissée aveugle ; nous recommandons à la charité publique cette pauvre famille réduite à la dernière des misères. »

Venaient ensuite les signatures des autorités du petit