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colliberts.

au grand chagrin de M, le curé, qui désirait beaucoup rendre Pierre aussi savant qu’il l’était lui-même. Loubette alluma vite une lanterne, et, précédée de Bianca, elle courut au-devant de son père et de son cousin. Pierre entendit sa voix avant de la voir, et ce ne fut qu’au détour d’un sentier qu’il la vit accourir, caressant et repoussant tout à la fois Bianca, dont la pétulante joie l’empêchait d’avancer, et menaçait à tout instant de faire éteindre le fanal.

— Bonsoir, mon père ; bonsoir, cousin.

— Bonsoir, petite sœur.

Et les deux enfants prenant l’oncle par le bras, l’entraînèrent vers la hutte.

— Le voila, ma femme, cria-t-il en entrant chez lui, le voilà, mais ce n’est pas sans peine. Allons, embrasse-le, et ne lui parle de rien, car son cœur est tendre comme celui d’une fille. Le souper est prêt, je suppose ; nous lui avons donné le temps de cuire, et même de brûler, ajouta-t-il en riant. Voyons, femme, à table ; sers-nous tout ce qu’il y a de meilleur dans la maison, j’ai une faim de loup !

On se mit à table ; le repas fut gai, quoique mêlé de regrets. On parla du bon curé, de tout ce qu’il savait, de tout ce qu’il apprendrait à Pierre, des fêtes du dimanche, du plaisir qu’il y aurait à se réunir le soir. Pierre écoutait en souriant, puis il soupirait ; et Loubette, ayant vu qu’au souvenir de sa mère et des soirées passées en famille une forme brillait dans les yeux de son cousin, Loubette se leva doucement de table, passa derrière lui, et d’une main caressante essuya cette larme avec le coin de son tablier.

— Chère sœur, dit Pierre en se retournant, que tu es bonne et que je t’aime !

—Tu ne pleureras donc plus ?

— Non, je ne pleurerai plus… mais pense donc, Loubette, ce que c’est que de s’éloigner de sa mère pour si longtemps,