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LE BATEAU À VAPEUR.

Bertrand, mais vous nous accorderez au moins le temps de quitter nos tabliers de cuir. »

Ils s’empressent donc de les dégrafer, rajustent le mieux qu’ils le peuvent leur costume plébéien, et sont introduits par Alfred au milieu d’une douzaine de personnes notables du pays, parmi lesquelles se trouve le général D***, qui s’écrie à l’aspect du père Bertrand : « C’est toi, mon camarade ! oh ! que je suis aise de te revoir !… Je vous présente, ajoute-t-il aussitôt en lui serrant la main, un vieux grognard de la garde impériale, qui m’a sauvé la vie. — En ce cas, s’écrie à son tour Alfred avec ivresse, nous ferons partie carrée ; car si vous devez la vie au père, je la dois de même à son fils. » Cette double rencontre produisit l’intérêt le plus vif parmi les assistants, et le dîner fut d’une gaieté ravissante. Le père Bertrand, placé à droite de la comtesse, s’y tint, quoique sous son costume d’homme du peuple, avec cet aplomb, avec cette dignité d’un ancien brave. Marcel, sous le sien, fit briller la vivacité de son esprit, la richesse de son imagination.

« J’espère, dit la comtesse, que le camarade d’Alfred, malgré la rédaction des nombreux mémoires de son père, viendra passer une semaine entière au château. — C’est bien long, répond brusquement le vieux grognard. — J’ai besoin de tout ce temps-là, répond madame Fierville, pour exécuter un projet que j’ai formé. Depuis quinze ans je cultive la peinture avec quelque succès, et je vous demande la permission de faire le portrait de votre cher Marcel, que je prétends placer dans ma galerie, et sur lequel il me sera doux d’arrêter souvent mes regards. J’offre en échange à votre fils le portrait d’Alfred, sur lequel il ne pourra lui-même jeter les yeux sans éprouver un honorable souvenir. — C’est dit, réplique vivement le père Bertrand ; dimanche matin je vous le ramène. »