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LA LEÇON MATERNELLE.

ottomane, la figure cachée dans ses mains, et paraissant accablée de douleur : le colonel, marchant à grands pas et affectant une grande colère, prononçait avec énergie ces mots effrayants : « Oui, Madame, je vous le dis pour la dernière fois : si, dans trois mois, lorsque je reviendrai de mon service, vos deux fils ne savent pas lire très-couramment, je vous prive de leur présence, et les mets entre les mains de maîtres qui les traiteront comme ils le méritent. » À ces mots, il jette un regard plein de courroux sur les deux espiègles, tremblants et stupéfaits de l’emportement de leur père. C’était, en effet, la première fois que le colonel éclatait de la sorte et, pour soutenir le ton de sévérité menaçante qu’il avait pris, il sortit furtivement et partit le soir même sans embrasser ses enfants.

Ceux-ci témoignèrent à leur mère la vive et profonde impression qu’avaient produite sur eux les menaces du colonel ; madame Darmincourt n’attendait que cet aveu pour exécuter le plan qu’elle avait formé ; elle leur déclara que, voulant éviter les humiliations qu’ils lui faisaient subir dans le monde, elle avait pris la résolution de ne plus s’y montrer jusqu’à ce qu’ils fussent en état de lire couramment trois grandes pages, prises au hasard dans tel livre qu’on choisirait. « Je me condamne aux arrêts, ajoutait-elle avec l’expression la plus touchante, pour me punir de ma faiblesse envers vous. Rien ne pourra me distraire de la solitude à laquelle je me voue, jusqu’à ce que vous puissiez vous montrer en public sans me faire rougir… C’est à vous seuls, Messieurs, qu’il appartient de faire cesser ou de prolonger ma captivité. »

Frédéric et Arthur se regardaient l’un l’autre, en cherchant ce que chacun pensait d’une semblable résolution. « Bah ! disait l’aîné, maman dit cela pour nous effrayer. — Ça c’est sur, disait à son tour le cadet ; mais quand une fois