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auguste.

Auguste arracha le livre des mains de son ami avec une humeur qu’il ne chercha pas à réprimer, et lut tout haut : Au pied de la Croix, par M. Justin Maurice. « Je croyais, à t’entendre, que le livre était fait par Lamartine ! Et bien, qu’est-ce qu’ils ont donc de si beaux, ces vers ?

— Lis, » dit le jeune sculpteur en s’éloignant. Auguste s’assit dans l’embrasure d’une fenêtre ; il lut, puis sa tête se pencha ; il rêva, puis il reprit le livre, lut encore, s’anima, s’attendrit, et levant les bras vers le ciel, il s’écria :

« Mon Dieu, que c’est beau ! Je sens tout cela, mais je ne saurais l’exprimer ainsi, Non, je ne suis point né poète !… Que ferai-je donc ? s’écria-t-il avec désespoir, et en se frappant le front : Serai-je un homme inutile à la société ?

— Non, mon fils, » lui dit M. Dorigny, qui venait d’entendre ces derniers mots. « Crois-tu que le sculpteur, le peintre et le poète soient les seuls hommes qui puissent être utiles à la société ? Et parce que tu comprends enfin que la nature n’a pas créé en toi un artiste, tu te désespères. Réjouis-toi plutôt ; tu échappes à l’écueil le plus dangereux qu’un jeune homme puisse rencontrer, celui de s’obstiner à devenir artiste, ou poète, lorsque la nature ne l’a pas créé pour cela.

— Et que serai-je donc, mon père ? répétait Auguste.

— Tu seras avocat, ou médecin, ou notaire, ou négociant : crois-tu que ces états n’honorent pas à la fois et l’homme qui les remplit avec zèle, et le pays dans lequel il les exerce.

— Mais, mon père, si vous aviez voulu faire de moi un négociant, il était bien inutile, ce me semble, de me faire apprendre le grec et le latin.

— Je ne veux rien l’imposer, mon ami. Tu choisiras toi-même l’état pour lequel tu te sentiras du penchant ; mais rappelle-toi qu’au lieu de jamais regretter tes études, tu