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auguste.

elles dessinaient fort bien, savaient l’anglais, et tenaient, avec beaucoup d’ordre, la maison de leur père.

Auguste avait quinze ans ; il avait fait de très-bonnes études, et son père l’avait laissé libre de se livrer à la sculpture et à la peinture. Il commença par aller chez David, et il travailla pendant plusieurs mois avec une grande assiduité ; mais ses progrès étaient si lents qu’il se découragea bientôt, et David lui ayant dit, au bout d’un an de travail, qu’il n’était pas né pour être sculpteur, et qu’il perdait ton temps, Auguste renonça à un art où il reconnaissait lui-même qu’il ne faut pas de médiocrité. Il voulait être artiste ; c’était son rêve favori, il se fit admettre dans l’atelier d’Ingres ; et, comme il dessinait d’après la bosse, il espéra qu’on le mettrait bientôt à la peinture, puis aux portraits. Vain espoir ; on le remit aux oreilles, aux nez, aux yeux, et on le tint aussi longtemps sur les premiers principes, que s’il n’avait jamais manié un crayon. Il se dépitait, s’ennuyait, se décourageait, ne faisait rien de bien, et restait toujours sur ses nez et sur ses oreilles. Enfin, au bout d’un mois, il fit une tête de profil ; au bout d’un an une bosse, mais on la trouva mal ; et, dans son désespoir, il la déchira en mille morceaux. Les élèves se moquèrent de lui ; M. Ingres lui dit que lorsqu’on n’avait pas de génie il fallait avoir de la patience, et M. Ingres avait raison ; les dessins qu’Auguste avait apportés en entrant à l’atelier, et qu’il croyait fort bons, étaient mauvais et sans principes arrêtés ; ils prouvèrent au maître que le jeune homme, ou n’avait pas de dispositions, ou avait été mal commencé.

Auguste se mordit les lèvres et sortit de l’atelier le cœur plein d’amertume : Lorsqu’on n’a pas de génie, répétait-il encore en montant l’escalier de son père, lorsqu’on n’a pas de génie, il faut avoir de la patience. « Allons, le sort en est jeté. Je ne serai ni sculpteur, ni peintre ! Que serai-je donc ? »