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les petits

autour d’eux : la mer était déserte et l’on ne voyait sur les côtes que les bateaux des Colliberts. Tout faisait pressentir une affreuse tempête et le tonnerre grondait avec fracas.

Le bateau d’Émeriau était à l’abri du vent du nord. On avait étendu la voile devant la porte de la cabane pour empêcher le froid de parvenir à l’intérieur ; il était quatre heures du soir, Émeriau fumait tranquillement assis auprès d’un bon feu de mottes ; sa femme préparait le souper, et Pierre faisait du filet en chantant à mi-voix une chanson du Poitou.

— Silence, enfant, s’écria tout à coup le père, et jetant brusquement sa pipe, il s’élança hors de la cabane ; un coup de vent venait de faire craquer et pencher le bateau… La mère et l’enfant étaient immobiles d’effroi…

— Pierre, Pierre ! à moi, garçon ! à moi, vite, vite !…

Le son de la voix du père fit tressaillir l’enfant, il courut sur l’avant du bateau…

— À l’eau, vite à l’eau ! répétait le pêcheur en étendant les bras ; vois-tu là-bas ce batelet renversé, qui flotte sur le flanc droit du côté du rivage ! nage vers lui, pousse-le à terre… et que Dieu nous soit en aide.

Achevant d’ôter sa veste, il s’élance à ces mots ; Pierre saute après lui, repousse de la faible force de ses petits bras les vastes lames d’eau qui viennent de moment en moment se briser sur son corps frêle, mais souple et plein de cette agilité qui ne redoute rien, et se fait presqu’un jeu de lutter contre le danger : il vient d’atteindre la nacelle ; il la pousse devant lui, et bientôt il sent la terre sous ses pieds ; alors il se dresse de toute sa hauteur, retourne le petit bateau, monte dedans, et touche au rivage à l’instant où son père y arrive traînant après lui l’homme que le vent venait de renverser de l’esquif dans les flots.