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ce qui ne périra pas. » En second lieu, l’identité des sensations et des sentiments supérieurs, c’est-à-dire la sympathie sociale que l’art produit, doit s’étendre au groupe d’hommes le plus vaste possible. Le grand art n’est point celui qui se confine dans un petit cercle d’initiés, de gens du métier ou d’amateurs ; c’est celui qui exerce son action sur une société entière, qui renferme en soi assez de simplicité et de sincérité pour émouvoir tous les hommes intelligents, et aussi assez de profondeur pour fournir substance aux réflexions d’une élite. En un mot, le grand art se fait admirer à la fois de tout un peuple (même de plusieurs peuples), et du petit nombre d’hommes assez compétents pour y découvrir un intime. Le grand art est donc comme la grande nature : chacun y lit ce qu’il est capable d’y lire, chacun trouve nu sens plus ou moins profond, selon qu’il est capable de pénétrer plus ou moins avant… »

L’évolution de l’art. L’introduction des idées scientifiques et philosophiques dans l’art. — « La part croissante des idées scientifiques dans les sociétés modernes produira, selon Guyau, une transformation de l’art, dans le sens d’un réalisme bien entendu et conciliable avec le véritable idéalisme. Le réalisme digne de ce nom n’est encore que la sincérité dans l’art, qui doit aller croissant avec le progrès scientifique. Les satiétés modernes ont un esprit critique qui ne peut plus tolérer longtemps le mensonge : la fiction n’est acceptée que « lorsqu’elle est symbolique, c’est-à-dire expressive d’une idée vraie ». La puissance de l’idéalisme même, en littérature, est à cette condition qu’il ne s’appuie pas sur un « idéal factice », mais sur « quelque aspiration intense et durable de notre nature ». Quant au réalisme, son mérite est, en recherchant « l’intensité dans la réalité », de donner une expression de realité plus grande, par cela même, de vie et de sincérité : « La vie ne ment pas, et toute fiction, tout « mensonge est une sorte de trouble passager apporté dans la « vie, une mort partielle ». L’art doit donc avoir « la véracité de la lumière ». Mais, pour compenser ce qu’il y a d’insuffisant dans la représentation du réel, l’art est obligé, en une juste mesure, d’augmenter l’intensité de cette représentation : c’est là, en somme, un moyen de la rendre vraisemblable. L’écueil est de confondre le moyen avec le but : or, le réalisme, trop souvent, donne pour but à l’art ce que Guyau appelle « un idéal quantitatif », l’énorme remplaçant le correct et la beauté ordonnée. C’est là rendre l’art malsain « par un dérangement de l’équilibre naturel auquel il n’est déjà que trop porté de lui-même ».

« On a dit que l’art, en devenant plus réaliste, devait se matérialiser ; Guyau montre ce qu’il y a d’inexact dans cette 1