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OR, L’ÉTANG D’ELSENEUR

II

Quelle vie singulière était celle de l’eau
Que les berges avaient captée dans leur anneau
Et qui semblait quelque autre et nouvelle nature
Où, dans de l’air liquide, auraient crû des ramures.
Un seul arbre emplissait d’une forêt l’étang,
Et ses bourgeons, parmi l’aquatique Printemps,
Ainsi que des nuées couvraient le ciel inverse
D’où montaient quelquefois les larmes de l’averse.
De prestes poissons clairs glissant dans les roseaux
Y passaient comme un vol vertigineux d’oiseaux,
À moins que, dans l’été, sous la fraîcheur des feuilles,
Le sommeil ne les fît pareils aux fruits qu’on cueille
Ou que, frappée d’un rais de soleil égaré,
Leur fuite n’eût l’éclat fugitif de l’acier
Et ne fît poudroyer dans un remous les sables.
Quand l’Automne venait cueillir de ses mains pâles
Chaque feuille rouillée, l’étang clair accueillait
Leurs cadavres, sur qui la lune au soir veillait,
Grave, comme pour dire une messe nocturne.
De loin en loin, au ciel de l’eau montaient des bulles
Qui troublaient, semblait-il, le beau silence uni,
— Soupir par quoi l’étang exhalait son ennui.
Et l’hiver, quand l’espace était blanc de nuages
Porteurs de vent, de pluie, de neige et de rafales,
Il se cachait souvent frissonnant et transi
Dans des prisons de glace opaque, comme si,
Fermant les yeux afin de ne pas voir les arbres
Roidis par les gelées, hâves et lamentables,
Il eût, pour les rouvrir, attendu que revînt
Le Printemps vagabond qui fleurit les Matins !


(La Floraison des Eaux.)