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« Trois autres ouvrages de Guyau étaient terminés quand il mourut ; je n’eus qu’à en diriger la publication. C’étaient : L’Art au point de vue sociologique (auquel Tolstoï semble avoir emprunté une partie de ses idées sur l’art, quoiqu’il renvoie seulement aux Problèmes de l’esthétique contemporaine), puis Éducation et Hérédité, enfin La Genèse de l’idée de temps.

« Éducateur de premier ordre, Guyau a aussi publié pour les écoles des ouvrages devenus classiques : Première année de lecture courante, L’Année préparatoire de lecture, L’Année enfantine de lecture, etc.

« Comme poète, Guyau recherche uniquement la vérité de la pensée, la franchise de l’élocution, le naturel et la fidélité de l’expression. C’est dans les pièces inspirées par les problèmes de la destinée humaine et universelle qu’il montre le plus de force et d’élévation. La poésie philosophique, c’est ce grand arbre qu’il nous peint dominant l’horizon de son tronc austère et immobile, mais dont la cime est sans cesse émue par un souffle venu d’en haut que ne sentent point les basses régions. Un accent toujours personnel et une pensée toujours impersonnelle, voilà ce qui fait L’originalité de notre poète… Sa sincérité d’émotion est telle qu’on sent bien qu’il pense avec son cœur autant qu’avec son cerveau.

« La doctrine qui a inspiré les Vers d’un Philosophe et qui, sans jamais être l’objet d’une exposition didactique, y prend corps et âme sous nos yeux, tient en deux mots essentiellement humains, qui résument eux-mêmes Les deux tendances en lutte à notre époque : doute métaphysique, espérance morale. Selon Guyau, la métaphysique ne peut tirer ni des découvertes de la science, ni de ses propres raisonnements, rien qui puisse nous faire sortir de notre doute au sujet de la moralité du monde. Aussi le doute, expression sincère de notre état d’esprit spéculatif, devient-il pour lui « un devoir », au lieu de la foi érigée en devoir par les religions et même par certaines philosophies…

« Guyau faisait avec goût des mathématiques, comme de la poésie ou de la philosophie. Son intelligence était d’une étonnante flexibilité. Sa mémoire était excellente, pour les faits comme pour les idées, pour les formes et scènes de la vie extérieure comme pour celles de la vie intérieure. C’était un « visuel ». Il avait d’ailleurs d’excellents yeux, très attentifs à toutes les beautés de la nature, avec un goût prononcé pour les voyages, pour toutes ces visions de la montagne et de la mer qui remplissent ses poésies. Il aimait et entendait tous les arts, y compris la musique, et montra de remarquables dispositions pour la composition musicale. De même que, dans ses Vers d’un Philosophe, il avait, sur plusieurs points, devancé les hardiesses de la versification contemporaine et