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ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS

DEUX HOMMES

Deux hommes sont en moi, l’un jeune, l’autre vieux. Le vieux, c’est ma pensée à qui rien de la vie Ne cache son mensonge et ne fait plus d’envie, Et qui doute, inquiet, si la tombe vaut mieux. Le jeune, c’est ma chair, ma chair inassouvie, Que j’ai sevrée au temps de l’avril radieux, Qui demande son dû, qui souffre, et dont les yeux Réclament l’aube ardente à ses baisers ravie. D’un long cri de révolte il emplit la maison Pendant que le vieillard songe, amer et livide ; O douleur ! et je sens que tous deux ont raison. EL j’en meurs ; car sitôt que l’un, de joie avide, Peut saisir une coupe, avant qu’il ne la vide, L’autre y verse un dégoût plus fort que du poison. (La Vie chimérique.)

L’ADIEU CHAQUE SOIR

O misère de l’homme, hélas ! et de l’amour Impuissant à former de deux cœurs un seul être ! Quand sous le drap commun le doux sommeil pénètre De vieux époux s’aimant comme le premier jour, Ils se disent adieu, comme si quelque maître Les venait enfermer chacun dans une tour, Comme s’ils se quittaient, peut-être sans retour, Et partaient au hasard, cessant de se connaître. C’est qu’en effet, sitôt endormis, chacun prend Dans la nuit sans défense un chemin différent ; C’est que, tant c’est un sort fragile que le nôtre, La mort peut toucher l’un de son doigt ténébreux Pendant que l’autre rit à quelque rêve heureux ! Tous deux se sont absents dans les bras l’un de l’autre. {La Vie chimérique.)