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L’une dit : « C’est ici la demeure de Marthe,
Le maître y soupe, Agar, voudrais-tu pas le voir ? »
Et son jeune bras nu se tend vers le heurtoir.
Elle pousse la porte ; et modeste et tranquille
Est la salle qu’éclaire une lampe d’argile
D’une petite flamme et d’un grand halo d’or.
Les coins sont noirs, on sent du silence qui dort
Et de l’humidité dans l’ombre où sont les cruches.
Des fruits, du pain, des plats sont posés sur les huches.
Et Marthe avec sa sœur se retournent au bruit
De la porte s’ouvrant sur la rue et la nuit,
Sur le bleu des coteaux et sur la lune haute.
D’un attelage au loin qui rentre et qui cahote.
On entend brusquement le roulement profond.
Jésus, qui méditait, n’a pas levé le front.
Il laisse devant lui toute la nourriture.
Une goutte de vin a trempé son eau pure,
Il regarde sans voir les raisins et les plats.
La tête entre ses mains, ses longs doigts délicats
Plongent dans ses cheveux ; de son pâle visage
On n’aperçoit qu’un peu de sa barbe sauvage.
Emue et rougissante, et sans quitter des yeux
L’hôte triste et divin, la plus grande des deux
Murmure doucement : « Marthe, je te salue,
Tu me connais, je suis la fille du moulin,
Et ma mère m’envoie, et moi je suis venue
Pour t’emprunter ce soir un écheveau de lin. »

(Les Isolements.)