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quelque vieux serviteur d’un hameau éternel,
Souris-moi pour que je ne pleure pas. Dis-moi :
« Je ne suis pas si malade que tu le crois. »
Ouvre ma porte encore, ami. Passe mon seuil
et dis-moi en entrant : « Pourquoi es-tu en deuil ? »
Viens encore. C’est Orthez où tu es. Bonheur est la.
Pose donc ton chapeau sur la chaise qui est là.
Tu as soif ? Voici de l’eau de puits bleue et du vin.
Ma mère va descendre et te dire : « Samnin… »
et ma chienne appuyer son museau sur ta main.
Je parle. Tu souris d’un sérieux sourire,
Le temps n’existe pas. Et tu me laisses dire.
Le soir vient. Nous marchons dans la lumière jaune
qui fait les fins du jour ressembler à l’Automne.
Et nous longeons le gave. Une colombe rauque
gémit tout doucement dans un peuplier glauque.
Je bavarde. Tu souris encore. Bonheur se tait.
Voici la route obscure au déclin de l’été,
voici que nous rentrons sur les pauvres pavés,
voici l’ombre à genoux près des belles-de-nuit
qui ornent les seuils noirs où la fumée bleuit.
Ta mort ne change rien. L’ombre que tu aimais,
où tu vivais, où tu souffrais, où tu chantais,
c’est nous qui la quittons et c’est toi qui la gardes.
Ta lumière naquit de cette obscurité
qui nous pousse ù genoux par ces beaux soirs d’Été
où, flairant Dieu qui passe et fait vivre les blés,
sous les liserons noirs aboient les chiens de garde.
Je ne regrette pas ta mort. D’autres mettront
le laurier qui convient aux rides de ton front.
Moi, j’aurais peur de te blesser, te connaissant.
Il ne faut pas cacher aux enfants de seize ans
qui suivront ton cercueil en pleurant sur ta lyre,
la gloire de ceux-là qui meurent le front libre.
Je ne regrette pas ta mort. Ta vie est là.
Comme la voix du vent qui berce les lilas
ne meurt point, mais revient après bien des années
dans les mêmes lilas qu’on avait crus fanés,
tes chants, mon cher Samain, reviendront pour bercer
les enfants que déjà mûrissent nos pensées.