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Puis, elle se taisait, pour reprendre soudain.
Ce fut une soirée unique de magie ;
Contre tous les parfums d’un boudoir-tabagie
Luttaient tous les parfums d’un nocturne jardin.

Oh ! les rires troublés ! oh ! les beaux bruits de jupes !
Les plaintes, à mi-voix, ironiques, des dupes !
Les mots précis partant des coins esthétisants,
Les mots vagues des coins philosophants, les drôles
Des coins moqueurs, et les blancs haussements d’épaules
Aux madrigaux musqués des dolents bien-disants I

Puis, les frissons frileux dans les robes ouvertes,
Et, le soir fraîchissant, les fichus et les berthes
Jetés vite aux cous nus par les prestes galants ;
Les fuites s’estompant, doubles, sous les grands arbres ;
Les gestes bleus parmi les gestes blancs des marbres ;
Les barques, sur le lac, commençant des tours lents…

Les barques promenant des chants et des lumières…
Enervements heureux et fébrilités chères !
Celui-ci qui, burlesque, éveillant des frons-frons,
Tente un refrain narquois sur une mandoline,
Cet autre proposant d’aller sur la colline…
Et la noble pâleur de tous ces jeunes fronts !

Ce fut une soirée unique de magie.
Le vent malin souffla la dernière bougie
Devant que fût fini notre ultime sorbet.
Parfois, faisant pousser des cris aux robes blanches,
On voyait, incendie indiscret sous les branches,
Une lanterne japonaise qui flambait.

Et nous nous augmentions l’exquis de cette fête
De la sentir frivole, imprudente, inquiète,
Et, délicats devins d’un brutal avenir,
Assurés de bientôt périr, —et quels artistes ! —
Tous nous la savourions, charmés, finement tristes,
Comme on fait ce qui doit et ce qui va finir…

Et ces chants, ces propos, ces clartés et ces femmes,
Et la communion légère de ces âmes,
Et ces plaisirs polis et doux d’honnêtes gens,
— Honnêtes, mais pervers un peu, — ces nonchalances,