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à la fondation du Mercure de France, où il donna désormais ses poèmes. » (A.-M. Gossez, Poètes du Nord.)

En 1893, ses amis le décidèrent à publier Au Jardin de l’Infante, qui attira sur lui l’attention de la critique et du public. M. François Coppée lui consacra un article où il l’appelait « un poète d’automne et de crépuscule, un poète de douce et morbide langueur, de noble tristesse ». « On respire tout le long de son livre, ajoutait-il, l’odeur faible et mélancolique, le parfum d’adieu des chrysanthèmes à la Saint-Martin… Je crois bien que M. Albert Samain, qui a peut-être lu mes Intimités, doit beaucoup, héréditairement, à Baudelaire, à Verlaine, et à ce symphonique et mystérieux Mallarmé que Mendès a spirituellement appelé un « auteur difficile », et qui n’en est pas moins pour beaucoup de « jeunes » un chef d’école. »

Ces affinités sincères, naturelles, non voulues, n’empêchaient pas Albert Samain d’être déjà un poète original, qui procédait surtout de lui-même. En 1898, il se vit décerner, par l’Académie française, le prix Archon-Despérouses, et la même année il publiait un nouveau volume, Aux Flancs du Vase, « suite de poèmes qui offrent l’aspect d’habiles modelages selon le goût antique ». Dans ce recueil, « où il revenait à la simplicité et à la vérité de son cœur », de même que dans ses derniers poèmes publiés quelque temps après sa mort, il se montra, une fois de plus, un parfait artiste, un subtil évocateur, un délicieux élégiaque, le plus délicat et le plus suave des poètes.

La mort de sa mère, survenue peu après la publication de son volume Aux Flancs du Vase, l’ayant plongé dans une profonde tristesse, sa santé, minée depuis longtemps par une affection de poitrine, inspira bientôt les plus vives inquiétudes à ses amis, et le 18 août 1900 il s’éteignit doucement à Magny-les-Hameaux, près de Port-Royal-des-Champs, où il était venu chercher la guérison.




ÉLÉGIE


Quand la nuit verse sa tristesse au firmament,
Et que, pâle au balcon, de ton calme visage
Le signe essentiel hors du temps se dégage,
Ce qui t’adore en moi s’émeut profondément.

C’est l’heure de pensée où s’allument les lampes.
La ville, où peu à peu toute rumeur s’éteint,
Déserte, se recule en un vague lointain
Et prend cette douceur des anciennes estampes.