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LE MENSONGE

J’ai creusé mon cachot dans le mensonge épais,
Impénétrable et sombre, où, geôlier de moi-même,
Je m’enferme à l’abri même de ceux que j’aime,
Plus seul quand j’ai parlé qu’aux temps où je me tais.

Ma parole est un mur sans porte ni fenêtre
Qui monte autour de moi, dur, puissant et massif,
Avec maint bas-relief gai, trompeur et lascif :
Et nul œil curieux jusqu’à moi ne pénètre.

Seul, je me connais. Seul, je sais ce que je suis.
Seul, j’allume ma lampe en mes sinistres nuits.
Et, seul, je me contemple et, seul, je me possède.

Je me couche, comme un chartreux, dans mon linceul.
Et, loin de tout désir qui me flatte ou m’obsède,
Je goûte, comme Dieu, le néant d’être seul.

(La Nuit.)

LE MAUVAIS JARDINIER

Dans les jardins d’hiver, des fleuristes bizarres
Sèment furtivement des végétaux haineux,
Dont les tiges bientôt grouillent comme les nœuds
Des serpents assoupis aux bords boueux des mares.

Leurs redoutables fleurs, magnifiques et rares,
Où coulent de très lourds parfums vertigineux,
Ouvrent avec orgueil leurs vases vénéneux.
La mort s’épanouit dans leurs splendeurs barbares.

Leurs somptueux bouquets détruisent la santé,
Et c’est pour en avoir trop aimé la beauté
Qu’on voit dans les palais languir les blanches reines.

Et moi, je vous ressemble, ô jardiniers pervers !
Dans les cerveaux hâtifs où j’ai jeté mes graines,
Je regarde fleurir les poisons de mes vers.

(La Nuit)