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Les chanvres clairs tendent leurs chaînes
Continûment, durant des jours et des semaines.

Avec ses pauvres doigts qui sont prestes encor,
Ayant crainte parfois de casser le peu d’or
Que mêle à son travail la glissante lumière,
Au long des clos et des maisons,
Le blanc cordier visionnaire,
Du fond du soir tourbillonnaire,
Attire à lui les horizons.

Les horizons ? ils sont là-bas :
Regrets, fureurs, haines, combats,
Pleurs de terreurs, sanglots de voix,
Les horizons des autrefois,
Sereins ou convulsés :
Tels les gestes dans le passé.

Jadis — c’était la vie errante et somnambule,
À travers les matins et les soirs fabuleux,
Quand la droite de Dieu, vers les Chanaans bleus,
Traçait la route en or, au fond des crépuscules.

Jadis — c’était la vie énorme, exaspérée,
Sauvagement pendue aux crins des étalons,
Soudaine, avec de grands éclairs à ses talons
Et vers l’espace immense, immensément cabrée.

Jadis — c’était la vie ardente, évocatoire ;
La Croix blanche de ciel, la Croix rouge d’enfer
Marchaient, à la clarté des armures de fer,
Chacune à travers sang, vers son ciel de victoire.

Jadis — c’était la vie écumante et livide,
Vécue et morte, à coups de crime et de tocsin,
Bataille entre eux, de proscripteurs et d’assassins
Avec, au-dessus d’eux, la mort folle et splendide.

Entre des champs de lins et d’osiers rouges,
Sur le chemin où rien ne bouge,
Au long des clos et des maisons,
Le blanc cordier visionnaire,
Du fond du soir tourbillonnaire,
Attire à lui les horizons.