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L’ABREUVOIR


En un creux de terrain aussi profond qu’un antre,
Les étangs s’étalaient dans leur sommeil moiré,
Et servaient d’abreuvoir au bétail bigarré
Qui s’y baignait, le corps dans l’eau jusqu’à mi-ventre.

Les troupeaux descendaient, par des chemins penchants
Vaches à pas très lents, chevaux menés à l’amble,
Et les bœufs noirs et roux qui souvent, tous ensemble,
Beuglaient, le cou tendu, vers les soleils couchants.

Tout s’anéantissait dans la mort coutumière,
Dans la chute du jour : couleurs, parfums, lumière,
Explosions de sève et splendeurs d’horizons ;

Des brouillards s’étendaient en linceuls aux moissons,
Les routes s’enfonçaient dans le soir — infinies,
Et les grands bœufs semblaient râler ces agonies.

(Les Flamandes.)




RENTRÉE DES MOINES

I


On dirait que le site entier sous un lissoir
Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère ;
C’est l’heure où la clarté du jour d’ombres s’obère,
Où le soleil descend les escaliers du soir.

Une étoile d’argent lointainement tremblante,
Lumière d’or, dont on n’aperçoit le flambeau,
Se reflète mobile et fixe au fond de l’eau
Où le courant la lave, avec une onde lente.

À travers les champs verts s’en va se déroulant
La route dont l’averse a lamé les ornières ;
Elle longe les noirs massifs des sapinières
Et monte au carrefour couper le pavé blanc.

Au loin scintille encore une lucarne ronde
Qui s’ouvre ainsi qu’un œil dans un pignon rongé ;