Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,
Toujours du sang jusqu’au poitrail ;
Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide,
Broya les générations ;
Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride,
Sur le ventre des nations ;
Enfin, lasse d’aller sans finir sa carrière,
D’aller sans user son chemin,
De pétrir l’univers, et comme une poussière
De soulever le genre humain ;
Les jarrets épuisés, haletante et sans force,
Près de fléchir a chaque pas,
Elle demanda grâce à son cavalier corse ;
Mais, bourreau, tu n’écoutas pas !
Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse ;
Pour étouffer ses cris ardents,
Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse,
De fureur tu brisas ses dents ;
Elle se releva : mais un jour de bataille,
Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
Et du coup te cassa les reins.
Que ton visage est triste et ton front amaigri,
Sublime Michel-Ange, ô vieux tailleur de pierre !
Nulle larme jamais n’a mouillé ta paupière :
Comme Dante, on dirait que tu n’as jamais ri.
Hélas ! d’un lait trop fort la Muse t’a nourri,
L’art fut ton seul amour et prit ta vie entière ;
Soixante ans tu courus une triple carrière
Sans reposer ton cœur sur un cœur attendri.
Pauvre Buonarotti ! ton seul bonheur au monde
Fut d’imprimer au marbre une grandeur profonde,
Et, puissant comme Dieu, d’effrayer comme lui :
Aussi, quand tu parvins à ta saison dernière,
Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière,
Tu mourus longuement plein de gloire et d’ennui.