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C’est quand l’enchantement d’avril est déjà loin
Que son ressouvenir nous suit et nous embaume.

Le présent est pour nous un jardin défendu,
Et nous n’entrons jamais dans la terre promise ;
Mais l’éternel regret de ce bonheur perdu
Donne à nos souvenirs une senteur exquise…

Peut-être est-ce un regret de leur brève splendeur
Qui donne aux foins coupés ces subtiles haleines ?…
Toutes les fleurs des prés s’y mêlent comme un chœur ;
Sauges et mélilots, flouves et marjolaines.

Leur musique voilée a des philtres pour tous.
Elle fait soupirer les pensives aïeules
Assises sous l’auvent le front dans les genoux,
Et les bruns amoureux couchés au pied des meules.

La nuit, avec le chant des sources dans les bois,
Quand ce concert d’odeurs monte au ciel pacifique,
Vers le bleu paradis des saisons d’autrefois
Le cœur charmé fait un retour mélancolique.

Dans ce passé limpide il croit se rajeunir ;
Il y plonge, il y goûte une paix endormante,
Mollement enfoncé dans le doux souvenir
Comme en un tas de foin vert et sentant la menthe.

Puissé-je pour mourir avoir un lit pareil,
Et que ce soit au temps des fenaisons joyeuses,
Quand les grands chars pleins d’herbe, au coucher du soleil,
Ramèneront des prés la troupe des faneuses !

Au soir tombant, leurs voix fraîches éveilleront
L’écho des jours lointains dormant dans ma mémoire ;
Je verrai s’allumer les astres sur mon front
Comme des lampes d’or au fond d’un oratoire ;

Et lorsque peu à peu les funèbres pavots
Sur mes yeux lourds seront tombés comme des voiles,
Mon dernier souffle, avec l’odeur des foins nouveaux,
S’en ira lentement vers le ciel plein d’étoiles.


(Le Livre de la payse.)