Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’Imitation de Jésus-Christ l’entretinrent du néant des choses humaines sans lui inspirer la foi dans les choses divines… C’est surtout du xviie siècle, rencontré sur les quais à chaque pas, qu’il nourrit sa jeune intelligence. Venu trop tard pour en partager les ardeurs, il s’assimila le travail critique des « philosophes », et en particulier cette notion de « relativité » universelle par laquelle ils ruinèrent le dogmatisme du siècle précédent. Et, tandis que l’histoire et l’archéologie lui montraient les diversités de la figure humaine et les perpétuels changements des cultes, des systèmes et des mœurs, quelques aperçus des sciences physiques, de l’astronomie notamment, laissèrent dans son esprit la profonde impression du peu qu’est l’homme… Nous ne pouvons rien saisir qui ait une réalité objective. La nature se joue de nous en faisant paraître à nos yeux des phénomènes illusoires. 1i n’y a de vrai que le sourire de la Maïa éternelle…

« Nulle part M. France n’a essayé de coordonner sa philosophie en système. Un système quelconque dénote chez son auteur ce dogmatisme incurable dont beaucoup de sceptiques ont eux-mêmes été dupes. Aussi bien la philosophie de M. France tient tout entière dans une seule vérité : c’est que rien n’existe en soi. Cette vérité-là, elle lui est toujours présente. Même dans ses plus légères fictions, elle se montre par de rapides ouvertures… Une telle philosophie ne mène pas forcément au pessimisme. L’angoisse du pessimiste suppose une énigme dont le mot nous échappe. Or, pour M. France, il n’est point d’énigme. Son nihilisme même le préserve du désespoir. Comment se désespérer de ne connaître rien, quand on croit qu’il n’y a rien à connaître ? Et le croire, c’est justement en cela que consiste la sagesse du vrai philosophe. Mais, trop sceptique pour être anxieux, M. France est surtout trop artiste pour ne pas se complaire dans le spectacle de l’univers. Qu’importe si la nature nous trompe par une vaine fantasmagorie ? On peut toujours en récréer ses yeux. Rien n’est vrai pour le philosophe, qui sait ne voir que des formes vides. Mais l’artiste jouit de ces formes*. » (Georges Pellissier.)[1]

Depuis 1896, M. Anatole France est membre de l’Académie française.

  1. Depuis quelque temps, M. France semble être descendu de sa « librairie » pour marcher vers le peuple. Dans le Matin du 13 août 1904, M. Louis Vauxcelles cite de lui des paroles qui permettraient de conclure que son pyrrhonisme a pris fin : « L’instinct du peuple a des lumières qui dépassent celles des savants… C’est lui, le peuple, qui élabore la foi de l’avenir ; il esquisse confusément le signe de la religion nouvelle. La foule ignorante crée le divin avec une patience auguste, avec la lenteur des forces naturelles… » W.