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Mais la douce Marie : « Êtes-vous pas trop loin
Pour voir l’Enfant, brave homme, en sonnant la musique ? »

Il s’avance troublé, tire son chalumeau
Et, timide d’abord, l’approche de ses lèvres ;
Puis, comme s’il était tout seul avec ses chèvres,
Il souffle hardiment dans la flûte en roseau.

Sans rien voir que l’Enfant de toute l’assemblée,
Les yeux brillants de joie, il sonne avec vigueur ;
Il y met tout son souffle, il y met tout son cœur,
Comme s’il était seul sous la nuit étoîlée.

Or, tout le monde écoute avec ravissement ;
Les rois sont attentifs à la flûte rustique,
Et quand le chevrier a fini la musique,
Jésus, qui tend les bras, sourit divinement.


(La Chanson de l’enfant.)


CE QU’A FAIT PIERRE


Voici ce qu’a fait Pierre étant encor petit :
Mon père était marin, me dit-il ; il partit
Loin de nous, plusieurs fois, pour une année entière…
(Je vous répète là les mots que m’a dits Pierre.)
… Et j’avais vu ma mère, aux soirs d’hiver, souvent
Pleurer, les yeux fermés, en écoutant le vent.
« Pourquoi fermer les yeux, ma mère ? lui disais-je.
— Ah ! me répondait-elle, enfant, Dieu nous protège !
C’est pour mieux regarder dans mon cœur. — Qu’y vois-tu ?
— Un navire penchant, par les vagues battu,
Et qui porte ton père à travers la tempête ! »
Alors, pour m’embrasser elle avançait la tête,
Et moi je lui disais à l’oreille, tout bas ;
« Je veux le voir aussi ; je ne pleurerai pas. »

Mon père revenu, grande réjouissance.
La maison oublia les tourments de l’absence,
Mais moi j’avais toujours présents les soirs d’hiver
Où le vent fait songer aux navires en mer !
Et quand mon père allait pour sortir, fût-ce une heure,
Il disait, mécontent : * Voilà Pierre qui pleure ! »