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ainsi sa vie lamentable et glorieuse, au quartier Latin, se prolongea jusqu’aux premiers jours de 1896. Sa maladie s’étant aggravée, il dut finalement garder la chambre, le lit. Le 31 décembre 1895, il écrivit quelques vers encore, qu’il intitula Mort et qui devaient être ses derniers. Et le 8 janvier 1896, il mourut, presque abandonné, dans son étroit logement de la rue Descartes.

« Verlaine, a dit M. François Coppée, est resté un enfant, toujours. Faut-il l’en plaindre ? Il est si amer de devenir un homme et un sage, de ne plus courir sur la libre route de sa fantaisie par crainte de tomber, de ne plus cueillir la rose de volupté de peur de se déchirer aux épines, de ne plus toucher au papillon du désir en songeant qu’il va se fondre en poudre sous nos doigts. Heureux l’enfant qui fait des chutes cruelles, qui se relève tout en pleurs, mais qui oublie aussitôt l’accident et la souffrance et ouvre de nouveau ses yeux encore mouillés de larmes, ses yeux avides et enchantés, sur la nature et sur la vie ! Heureux aussi le poète qui, comme notre pauvre ami, conserve son âme d’enfant, sa fraîcheur de sensations, son instinctif besoin de caresses, qui pèche sans perversité, a de sincères repentirs, aime avec candeur, croit en Dieu et le prie humblement dans les heures sombres, et qui dit naïvement tout ce qu’il pense et tout ce qu’il éprouve, avec des maladresses et des gaucheries pleines de grâce 1 Heureux ce poète, j’ose le répéter, tout en me rappelant combien Paul Verlaine a souffert dans son corps malade et son cœur douloureux.

« Hélas ! comme l’enfant, il était sans défense aucune, et la vie l’a souvent et cruellement blessé. Mais la souffrance est la rançon du génie, et ce mot peut être prononcé en parlant de Verlaine, car son nom éveillera toujours le souvenir d’une poésie absolument nouvelle et qui a pris dans les lettres françaises l’importance d’une découverte. Oui, Verlaine a créé une poésie qui est bien à lui seul, une poésie d’une inspiration à la fois naïve et subtile, toute en nuances, évocatrice des plus délicates vibrations des nerfs, des plus fugitifs échos du cœur ; une poésie naturelle cependant, jaillie de source, parfois même presque populaire ; une poésie où les rythmes, libres et brisés, gardent une harmonie délicieuse, où les strophes tournoient et chantent comme une ronde enfantine, où les vers, qui restent des vers, — et parmi les plus exquis, — sont déjà de la musique. Et dans cette inimitable poésie, il nous a dit toutes ses ardeurs, toutes ses fautes, tous ses remords, toutes ses tendresses, tous ses rêves, et nous a montré son âme si troublée, mais si ingénue… »

M. Jules Lemaître s’est exprimé dans le même sens : « Paul Verlaine, dit-il, est un barbare, un sauvage, un enfant… Seulement, cet enfant a une musique dans l’âme, et, à certains jours,