Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BRAHM


Je suis l’Ancien, je suis le Mâle et la Femelle,
L’Océan d’où tout sort, où tout rentre et se mêle ;
Je suis le Dieu sans nom, aux visages divers ;
Je suis l’Illusion qui trouble l’univers.
Mon âme illimitée est le palais des êtres ;
Je suis l’antique Aïeul qui n’a pas eu d’ancêtres.
Dans mon rêve éternel flottent sans fin les cieux ;
Je vois naître en mon sein et mourir tous les dieux.
C’est mon sang qui coula dans la première aurore ;
Les nuits et les matins n’existaient pas encore,
J’étais déjà, planant sur l’Océan obscur.
Et je suis le Passé, le Présent, le Futur ;
Je suis la large et vague et profonde Substance
Où tout retourne et tombe, où tout reprend naissance,
Le grand corps immortel qui contient tous les corps :
Je suis tous les vivants et je suis tous les morts.
Ces mondes infinis, que mon rêve a fait naître,
— Néant, offrant pour vous l’apparence de l’être,
— Sont, lueur passagère et vision qui fuit,
Les fulgurations dont s’éclaire ma nuit.
— Et si vous demandez pourquoi tant de mensonges,
Je vous réponds : « Mon âme avait besoin de songes,
D’étoiles fleurissant sa morne immensité,
Pour distraire l’horreur de son éternité !


(L’Illusion : Chants panthéistes.)


RÉMINISCENCES


À Darwin.


Je sens un monde en moi de confuses pensées,
Je sens obscurément que j’ai vécu toujours,
Que j’ai longtemps erré dans les forêts passées,
Et que la bête encor garde en moi ses amours.

Je sens confusément, l’hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j’ai souffert,