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Malgré la diversité de ses recherches dans tous les genres littéraires et nu milieu d’une production énorme, M. Emile Borgerat est surtout et partout un poète, et un poète d’une virtuosité rare, éblouissante, où la richesse du verbe le dispute à la science lyrique. On a do lui quatre livres de vers : Les Poèmes de la guerre, La Lyre comique, La Lyre brisée, et cette Enguerrande que, sur la foi d’un maître Théodore de Banville, expert et profes en la matière, la critique tient pour la maîtresse pièce du poète.

M. Emile Bcrgerat est officier de la Légion d’honneur et lauréat des concours de la Société des gens de lettres (prix Chauchard) et de l’Académie française (prix Calmann-Lévy).


LE MAITRE D’ÉCOLE

Messieurs les Allemands, au détour du chemin
Vous m’avez arrêté, les armes à la main…
Je ne suis pas soldat, n’ayant pas l’uniforme.
Vos édits sont formels… et je les avais lus.
Je serai fusillé tout à l’heure ! — Au surplus,
Faites votre devoir, je plaide pour la forme.

Quand vous êtes venus en France, mon pays,
J’étais l’instituteur de ces bourgs envahis.
Comme on entend les bois gazouiller à l’aurore,
Le babil des enfants indiquait ma maison !
C’est celle que l’on voit fumer à l’horizon,
Dans ce brasier, où tout un canton s’évapore.

Ma femme était Badoise. — Oui, dans ce temps serein,
On pouvait naître encor des deux côtés du Rhin
Sans s’égorger et sans songer aux représailles.
Son cours ne traversait que mes rêves d’amant :
S’il me séparait d’elle, il était allemand ;
Elle le crut français le jour des épousailles.

Nous nous étions connus à Strasbourg ! — Je voudrais
Ne pas dire ce nom devant vous, étant près
De retourner au Dieu qu’atteste ma patrie !
Elle était protestante, et mon culte est romain ;
Mais le jour où sa main fut mise dans ma main
Nous vit jurer tous deux la même idolâtrie.