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SOROR DOLOROSA


Reste. N’allume pas la lampe. Que nos yeux
S’emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.

Nous sommes las autant l’un que l’autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l’océan du soir morne et délicieux.

Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli…

O calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Quel long fleuve de paix léthargique et d’oubli
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes !


(Soirs moroses.)


EXHORTATION


Être homme ? tu le peux. Va-t’en, guêtré de cuir,
L’arme au poing, sur les pics, dans la haute bourrasque,
Et suis le libre izard aussi loin qu’il peut fuir !

Fais-toi soldat ; le front s’assainit sous le casque.
Jeûnant pour avoir faim et peinant pour dormir,
Sois un contrebandier dans la montagne basque !

Mais, dans nos vils séjours, ne t’attends qu’à vieillir.
Les pleurs mentent ainsi que le rire est un masque ;
Tout est faux : glas du deuil et grelots du plaisir.

Et comme l’eau rechoit, par flaques, dans la vasque,
C’est notre vieux destin qu’en un lâche loisir
Se raffaisse toujours notre volonté flasque

Entre l’ennui de vivre et la peur de mourir.


(Soirs moroses.)