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On n’entend même plus, sous les brouillards croissants,
Clapoter, dans le port confus, la vague haute,
Ni les canots heurter leurs flancs retentissants !

L’ombre s’obstine ; et sur la rade qui s’efface,
La ville inerte, et les invisibles écueils,
Épais et noir s’étale un long voile de deuils,
Comme si, tout d’un coup ressaisissant l’espace,
La grande nuit allait s’asseoir sur nos orgueils.

Tout serait-il fini ? L’astre aux flammes fécondes,
Si clair, si beau, si bon, qu’il semblait l’œil de Dieu,
Se serait-il lassé de chauffer à son feu,
Comme des mendiants, le troupeau des vieux mondes ?
S’en irait-il ailleurs ouvrir un ciel plus bleu ?

Peut-être en l’éther pur où son désir le mène
S’est-il déjà choisi quelque nouveau séjour
Où des astres enfants, couvés par son amour.
En qui germe et tressaille une semence humaine,
S’éveillent à la ronde et montent vers le jour,

Tandis que nous allons, nous, races délaissées,
Fouillant l’horizon mort de regards mal ouverts,
Sous l’engourdissement d’implacables hivers,
Nous éteindre, en monceaux de larves enlacées,
Dans ce coin oublié du muet Univers.

Eh bien ! Après ? Pourquoi te troubles-tu, mon âme ?
Et toi, corps lâche et vil, pourquoi ces tremblements ?
Triste ou joyeux, fallait-il pas un dénouement
Aux trop longs imbroglios de cette farce infâme ?
Le monde va mourir ? Qu’il meure ! Il en est temps.

L’angoisse nous étouffe et la vie est lugubre.
Assez de plainte, assez de sang, assez de pleurs,
Empoisonnant l’haleine inutile des fleurs,
Ont coulé dans les plis de ta face insalubre,
O vieille Terre, aveugle et sourde à nos douleurs !

Depuis tant de milliers et de milliers d’années
Que tu tournes, marâtre, et qu’en ton vaste sein,
Sous le fouet du désir stupide et de la faim,
Tu nous prends et reprends, foules toujours damnées,
Qu’as-tu fait pour changer notre inique destin ?