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l’âme du camp attend, angoissée : — elle écoute.
C’est un râle à présent qui sanglote, âpre et long.

Un seul ne pleure point : — et lequel ? — Gannelon !
Les siècles n’ont jamais rien produit qui fût pire.

Tout l’ost a tourné front : — Karl, devant, en grande ire,
chevauche ; et, tous, courbés aux cols de nos chevaux,
dolents et courroucés — par ports, par puis, par vaux,
nous refluons à court, — battu, tout d’une course,
comme un gave grondant, repoussé vers sa source
par l’embâcle de rocs éboulés brusquement :
la terre oscille et fuit en un ébranlement.
Et Karl, nous dominant tous de sa haute taille :
« Dépêchons ! criait-il, nos hommes ont bataille ! »
Ah ! que les puis sont hauts, et ténébreux, et grands !
farouches, les vallons ! rapides, les torrents !
et noirs les bois de pins dans les montagnes bleues !

Le cor souffle vers nous de plus de trente lieues.
Il souffle, par hoquets brisés et haletants.

« Prends pitié de ton preux, sire Dieu qui l’entends !
et vous, grailes, sonnez et devant et derrière ! »
Leur bruit nous enveloppe ainsi qu’une poussière.
Sonnez plus fort ! Sonnez à mort !…

« Holà, Rollant !
Plus vite, mes barons : le grand preux est râlant.
L’haleine de son cor clame toute meurtrie ! »
Et s’arrachant les poils de sa barbe fleurie,
Karl, l’Empereur chenu, se hâte, — et ses barons
se pressent, à sa suite, à coite d’éperons !

O morne chevauchée, effroyable et farouche !

— La flottante lueur du soleil qui se couche
cave les vaux plus creux, dresse les pins plus hauts !

Soudain une rumeur s’élève : — Roncevaux !…

Karl entre le premier au val sombre. — Il s’arrête :
Sur son vieux poil blanchi laisse cliner sa tête :
il appelle ses clercs : il appelle Rollant…
Qui lui répond ?…
Nul bruit… nulle haleine… Néant !
Des morts partout, des morts par tas et par jonchées !