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XVI
ANTHOLOGIE DES POÈTES FRANCAIS

porte sous forme de vapeur avec une vitesse effrayante et travaille pour lui de mille autres façons. D’innombrables prodiges célèbrent la puissance du génie humain ; rien de tout cela n’a pénétré dans la sphère de l’inspiration poétique, sauf par de rares effractions. L’amour, avec toutes les passions dont il est le ressort, en demeure le dernier occupant, comme il en a été le premier. Je ne m’en étonne ni ne m’en plains. Ce qui n’est pas l’amour n’arrive jamais à remplir entièrement le cœur, et la poésie est le soupir du cœur qui déborde.

J’ai été d’autant plus séduit par la demande de M. Walch que j’y trouvais l’occasion de réagir contre la fâcheuse impression faite sur les étrangers par certains échantillons de notre littérature exposés dans les librairies. Les productions hâtives et malsaines y supplantent trop les ouvrages sérieux. Cette anthologie est de nature à détruire une impression si funeste au bon renom de la France. La passion du beau respire dans ces diverses poésies, et les recherches d’une facture qui soit de mieux en mieux adaptée à l’idéal individuel, quel qu’en soit le succès, attestent chez l’artiste un noble souci. De pareils efforts commandent l’estime et éveillent la sympathie de ceux-là mêmes qui sont, comme moi, attachés par des liens très anciens aux traditions qui les ont formés.

Sully Prudhomme.

Châtenay (Seine), 28 février 1906.