« Nous n’avons plus, errants dans ces mornes ravins,
Maître ! comme autrefois, la candeur ni l’extase ;
Et nous n’entendons plus dans les buissons divins
L’hymne des anges blancs que votre gloire embrase.
« Mais qu’importent l’embûche et la nuit sous nos pas,
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire ?
Ah ! si l’amour nous reste et nous guide ici-bas,
Soyez béni ! Dieu fort ! Dieu bon ! Dieu tutélaire !
« Adam a la vigueur, et moi j’ai la beauté.
Un contraste à jamais nous lie et nous console ;
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté,
Pour nous chaque fardeau se change en auréole.
« Et maintenant, voici grandir auprès de nous
Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie ;
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux,
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie !
« Vivant encore en nous qui revivons en eux,
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle.
Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos nœuds ;
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle.
« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament,
Ont un étrange attrait ; et notre âme attirée,
Qui s’étonne et s’abîme en leur regard charmant,
Y cherche le secret d’une enfance ignorée.
« L’amour qui les créa sommeille en eux. Le Ciel
Peut gronder ; comme nous, dans le vent, sous l’orage,
Ils se tendront la main, et l’éclair d’Azraël
Ne pourra faire alors chanceler leur courage.
« Gloire et louange à toi, Seigneur ! A toi merci !
Le châtiment est doux, si malgré l’anathème
Le baiser de l’Eden se perpétue ici.
Frappe ! regarde croître une race qui t’aime ! »
Ainsi, le front baigné des parfums du matin,
Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles,
Eve, les yeux fixés sur Abel et Caïn,
Sentait l’infini bleu noyé dans ses prunelles.