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Ou marins revenus d’un voyage au long cours,
Des tempêtes du Cap, des îles de la Sonde,
Dans leur pays de brume, au bout de l’Ancien Monde,
Rejoignant au foyer de sérieux amours.

Aux magiques lueurs de sa chaude lumière,
Les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits,
Miraculeusement des ténèbres sortis,
Vivaient transfigurés dans leur beauté première.

II


Mais, planant au-dessus des misères communes,
En oiseaux de haut vol, les grandes infortunes
Tombent de préférence au foyer des élus,
Sans que personne ait pu les voir ou les entendre, —
Et d’un large coup d’aile éparpillent la cendre
Sur la braise qui meurt… et ne s’éveille plus.

Pour quelques-uns, surtout, l’épreuve est longue et rude,
Quand autour de leur nom se fait la solitude,
Froide à glacer le cœur, à troubler la raison ;
Et le soir de la vie est profondément triste
Quand, regardant coucher sa gloire, un vieil artiste
Quitte son atelier, son lit et sa maison.

Insolvable, Rembrandt vit passer aux enchères
Ses meubles, ses tableaux, ses œuvres les plus chères,
Dans les sordides mains des fripiers de l’Amstel ;
Et vierges, sous des yeux profanes, ses eaux-fortes,
Comme aux souffles d’hiver un tas de feuilles mortes,
S’en aller pêle-mêle aux quatre vents du ciel.

Lui ne remporta rien, rien que sa foi robuste
Dans l’art. — Sans murmurer contre un verdict injuste,
Contre les temps mauvais, contre le siècle ingrat,
Loin du monde, oubliant sa trace disparue,
Il se réfugia dans une étroite rue
Des vieux quartiers perdus au nord du Rozengracht.

Et là, continuant de graver ou de peindre,
Jusqu’à l’heure où le jour achevait de s’éteindre,
Envahi lentement par les brumes du soir,
Lorsque le ciel était sans lune et sans étoiles,
Il souriait dans l’ombre aux lueurs de ses toiles,
De la nuit ténébreuse éclairant le fond noir.