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sité dans ces caractères, dont la forme variait suivant le goût du siècle et les caprices du dessinateur. Ces formes étaient si multipliées au moyen âge, qu’on a senti le besoin de leur appliquer une nomenclature spéciale. Nous renverrons au traité de Tory sur l’Art et science de la vraie proportion des lettres les personnes qui seraient curieuses de connaître ce qu’on entendait par cadeaux, lettres de forme, lettres goſſes, lourdes, impériales ou bullatiques, lettres de cour ou de cours, lettres torneures, etc. Un fait digne de remarque, c’est qu’une bulle de Grégoire IX renferme un de ces termes techniques : il y est question de lettres tondues (litteræ tonsæ), c’est-à-dire de lettres qui n’étaient pas hérissées de ces poils ou traits superflus dont les écrivains surchargeaient certains caractères des bulles et diplômes impériaux. Parmi les lettres ornées, il est facile de distinguer celles que les Bénédictins appellent lettres en marqueterie. En effet, leurs couleurs sont disposées par compartiments, et de manière à représenter une mosaïque. On ne peut voir dans ces lettres qu’une imitation de quelques inscriptions monumentales où l’on s’est attaché à composer des caractères avec des fragments de pierres de différentes couleurs. Ce genre d’ornements a été surtout employé du viie au ixe siècle dans les manuscrits du nord de l’Italie, où règne une écriture qu’on est convenu d’appeler lombardique, parce que les caractères qui la distinguent ont commencé à paraître du temps des Lombards. Les jambages massifs des lettres de marqueterie représentent souvent des animaux. Les manuscrits lombardiques ne sont pas d’ailleurs les seuls qui admettent dans la composition des lettres ornées la représentation des objets naturels. Ce genre d’ornements calligraphiques était si fréquemment employé, que les Bénédictins, tout en s’interdisant de rien emprunter aux manuscrits qui n’étaient pas antérieurs au xe siècle, ont pu reproduire une collection à peu près complète d’alphabets à figures d’hommes, de quadrupèdes, d’oiseaux, de poissons, de serpents et de fleurs. Dans les manuscrits du viie, du viiiie et du ixe siècle, ces figures servaient à composer le corps même de la lettre ; mais dans la suite on les employait plutôt comme des ornements accessoires qui se rattachaient aux caractères, sans en former les contours. On ne doit pas s’étonner que les dessinateurs aient souvent sacrifié la forme des lettres au désir d’v faire entrer ces ornements divers. Les écritures à ornements présentent donc des singularités de tout genre. C’est là qu’on rencontre surtout des caractères d’inégale grandeur, des lettres enclavées ou bizarrement conjointes. Quand les lettres initiales sont d’une grande simplicité et que par leur grandeur elles ne s’éloignent pas beaucoup des caractères qui composent le texte, le manuscrit qui présente ces caractères peut être rapporté au ve ou au vie siècle, si d’ailleurs son écriture ne dément pas