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ACTE TROISIÈME

Depuis le môle,
Je t’ai porté sur mon épaule ;
Il est large le dos de maître Kourwenal ! —
Oui, nous sommes chez toi, dans ton burg, sur ta terre,
Sur le sol paternel et sous le ciel natal ;
Cet air est pour ta plaie un baume tutélaire,
Il va guérir ton mal
Et chasser le trépas fatal !

Il se serre contre Tristan.


TRISTAN.

Ton coeur le croit et le désire,
Mais moi je sais qu’il n’en est pas ainsi. —
J’étais, tantôt, bien loin d’ici,
Mais d’où je viens nul ne pourrait le dire.
Là-bas mes yeux n’ont vu ni cieux, ni mer, ni terre ;
Mais qu’ont-ils vu ? Ma lèvre doit le taire.
J’étais où je vaguais avant d’avoir vécu,
Où, pour jamais, maintenant, je m’élance ;
Au sein des nuits, dans l’ombre immense,
Où l’on n’a plus qu’un seul souci ;
Le divin, l’éternel, l’originaire oubli. —
Quelle vague ressouvenance
Quelle avide espérance
M’a repoussé de cet heureux séjour
Et me rejette en proie au jour ? —
L’amour, divine flamme,
Qui seule emplit toute mon âme,
M’arrache aux ombres de la mort
Et, d’un vaillant effort,
Me jette aux flots de lumière dorée
Où vit encore une femme adorée !
Mon Yseult est encore asservie au soleil
Le jour la tient captive en son palais vermeil ;