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à la fois grand et misérable, mais non abaissé. « Que dites-vous de ce cas, amie, où l’homme se sent identique à ce que le rêve évoque devant lui ? »

Il y a des moments dans la vie où l’âme a plus soif de sons que de paroles. Depuis que Wagner était chez nous, je n’avais plus ouvert mon piano, quelle qu’en fût mon envie ; la pensée que le Maître pourrait m’entendre, me paralysait au point que j’aimais mieux ne pas donner carrière à mes fantaisies musicales. Pour moi la musique est une puissance inexplicable et merveilleuse : en présence de la nature indéfinissable de ses révélations, on croirait volontiers que l’homme porte en son corps mortel une âme qui, en vertu de son origine, connaît tout ce qui est beau, tout ce qui est divin et qui, retenue par toutes les entraves de ce monde, s’élance à la recherche du chemin qui conduit à la patrie. Que de choses elle a oubliées du pays d’où elle vient ! Mais, quand elle prend son essor, poussée par le désir et par le pressentiment, quand elle exhale ses plaintes et qu’elle gémit sous la honte de l’exil, quand le sentiment de sa gloire première l’envahit, alors éclatent les accents de la langue maternelle, qui sommeillait au plus profond de son être.

Je ne parlais naturellement jamais de tout