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chez l’artiste d’une nature faible, la considération décisive. On me disait que Weber lui-même, ce pur, ce noble, ce profond esprit, reculait de temps en temps effrayé devant les conséquences de sa méthode si pleine de style ; il conférait à sa femme le droit de « la galerie, » selon l’expression dont il se servait ; il se faisait faire par elle, dans le sens de cette « galerie, » toutes les objections possibles à ses idées, et elles le déterminaient parfois, en dépit des exigences du style, à de prudentes concessions.

Ces concessions que mon premier modèle, mon vénéré maître, Weber, se croyait encore obligé de faire au public d’opéra, vous ne les rencontrerez plus, je puis, je pense, m’en flatter, dans mon Tannhœuser ; et ce que la forme de cet ouvrage a de particulier, ce qui le distingue peut-être le plus de ceux de mes devanciers, consiste précisément en cela. Pour me défendre de toute concession, il ne me fallait pas un grand courage ; l’effet que j’ai vu moi-même les parties les mieux réussies jusqu’à présent dans l’opéra produire sur le public, m’a fait concevoir de lui une opinion plus consolante. L’artiste qui s’adresse dans son ouvrage à l’intuition spontanée, au lieu de s’adresser à des idées abstraites, est porté par un sentiment aveugle, mais sûr, à composer son œuvre non pour le connaisseur, mais pour le public. Ce public ne peut inquiéter l’artiste que sous un seul rapport : c’est par l’élément critique qui peut avoir pénétré en lui et y avoir détruit l’ingénuité, la candeur des impressions purement humaines. Précisément à cause de la forte part de concessions qu’il renferme, l’opéra, tel qu’il a été jusqu’ici, est, à mon sens, admi-