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mode de perception ; doué pour ainsi dire d’un sens nouveau, son oreille devient de plus en plus pénétrante, il distingue avec une netteté croissante les voix d’une variété infinie qui s’éveillent pour lui dans la forêt ; elles vont se diversifiant sans cesse ; il en entend qu’il croit n’avoir jamais entendues; avec leur nombre s’accroît aussi d’une façon étrange leur intensité ; les sons deviennent toujours plus retentissants; à mesure qu’il en tend un plus grand nombre de voix distinctes, de modes divers, il reconnaît pourtant, dans ces sons qui s’éclaircissent, s’enflent et le dominent, la grande, l’unique mélodie de la forêt ; c’est cette mélodie même qui dès le début l’avait saisi d’une impression religieuse. C’est comme si, par une belle nuit, l’azur profond du firmament enchaînait son regard; plus il s’abandonne sans réserve à ce spectacle, plus les armées d’étoiles de la voûte céleste se révèlent à ses yeux, distinctes, claires, étincelantes, innombrables. Cette mélodie laissera en lui un éternel retentissement ; mais la redire lui est impossible ; pour l’entendre de nouveau, il faut qu’il retourne dans la forêt, qu’il y retourne au soleil couchant. Quelle serait sa folie de vouloir saisir un des gracieux chanteurs de la forêt, de vouloir le faire dresser chez lui, et lui apprendre un fragment de la grande mélodie de la nature ! Que pourrait-il entendre alors, si ce n’est — quelque mélodie à l’italienne ?

Dans l’exposition très-rapide et peut-être trop longue, néanmoins, qui précède, j’ai négligé mille détails techniques, vous le concevrez sans peine, surtout si vous considérez que, par leur nature même, ces détails sont,