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— XXXVII —

Mais le poëte lui-même ne saurait y parvenir sans un vif sentiment des tendances de la musique et de son inépuisable puissance d’expression ; car il faut qu’il construise son poëme de manière qu’il pénètre jusque dans les fibres les plus fines du tissu musical, et que l’idée qu’il exprime se résolve entièrement dans le sentiment. La seule forme poétique applicable ici est celle où le poëte, au lieu de décrire simplement, offre de son objet une représentation réelle et qui frappe les sens : cette forme est le drame. Au moment où il est représenté avec la réalité scénique, le drame éveille dans le spectacleur un intérêt profond pour une action qui s’accomplit devant lui, qui est, dans la mesure du possible, une fidèle imitation de la vie humaine. Cet intérêt élève déjà par lui-même les sentiments de sympathie jusqu’à une sorte d’extase, où l’homme oublie cette fatale question du pourquoi ; alors, dans le feu de ses transports, il se livre sans résistance à la direction des lois nouvelles par lesquelles la musique se fait si merveilleusement comprendre, et, dans une acception très-profonde, fait la seule réponse exacte à cette question : « Pourquoi ? »

Dans la troisième partie de l’écrit que j’ai rappelé plus haut, je cherchais enfin à déterminer avec précision les lois techniques selon lesquelles doit s’accomplir cette intime fusion de la musique et de la poésie dans le drame, À coup sûr, vous n’attendez pas de moi que j’essaye de répéter ici cette recherche ; l’esquisse qui précède ne vous a sans doute pas moins fatigué que moi, et je m’aperçois, à la fatigue que je ressens, que je suis presque revenu à l’état où j’étais il y a plusieurs années, lorsque